Préface des Éditions de Londres

« L’agonie de la Russie blanche » est un recueil d’articles écrit de mars 1905 à mars 1906 par Gaston Leroux alors envoyé spécial du Matin en Russie pour couvrir les événements de ce qu’on appellera la révolution russe de 1905.

Le texte que nous proposons a été mis en forme par la femme de Gaston Leroux pour être publié en 1928 après sa mort.

C’est un intéressant témoignage de cette période de l’histoire russe préparant la révolution de 1917. Ce n’est évidemment pas un document historique. Gaston Leroux rapporte ce qu’il voit et ce qu’on lui dit et porte des jugements personnels. Il exprime sa préférence pour le passage à une démocratie parlementaire avec plus de libertés, mais dans l’ordre, sans révolution sanglante.

L’état de la Russie au début de 1905

Au début du XXe siècle, la Russie est un pays qui s’est modernisé sur le plan économique, industriel et culturel. La Russie est devenue la troisième ou quatrième puissance économique dans le monde.

Le développement de l’industrie a fait apparaître un prolétariat nombreux et revendicatif dans les villes. Les paysans, malgré l’abolition du servage, sont très pauvres et incultes. Une classe intermédiaire constituée par la masse importante des fonctionnaires, les commerçants, les professions libérales s’est développée et s’intéresse aux idées occidentales de liberté alors qu’elle n’a aucun droit de participation à la politique.

Après la relative libéralisation d’Alexandre II qui a aboli le servage en 1861 et mis en place des assemblées locales, les zemstvos, Alexandre III puis Nicolas II sont des tsars autocrates tentant de contrôler le plus étroitement possible le pays. L’Okhrana, police secrète très puissante, procède à des arrestations et des emprisonnements ou déportations sans jugement.

Depuis l’assassinat d’Alexandre II par le groupe terroriste Narodnaïa volla, la Russie est dans un état d’urgence permanent au niveau politique alors qu’elle connaît un essor économique dû au développement rapide de l’industrie.

L’opposition à l’autocratie tsariste s’organise avec le POSDR bolchévique de Lénine très présent dans les milieux ouvriers, les socialistes révolutionnaires dans les campagnes et l’union de libération représentant les classes moyennes.

À partir de 1901, la crise économique mondiale sévit en Russie. Les usines font faillite et laissent les ouvriers sans ressources. Dans les campagnes, de mauvaises récoltes successives entraînent la famine chez les paysans.

Alors que Nicolas II espérait détourner l’attention des Russes par une victoire facile contre le Japon, les revers militaires et les impôts nécessaires à la poursuite de la guerre augmentent le mécontentement populaire.

La révolution russe de 1905

Suite à d’importantes grèves aux usines Poutilov de Saint-Pétersbourg, les ouvriers sous la conduite de Gueorgui Gapone du parti des socialistes révolutionnaires veulent le 9 janvier 1905 porter dans le calme au tsar une pétition réclamant des droits pour les ouvriers. Le tsar est absent et la police tire sur la foule faisant plus d’une centaine de morts. Cette journée sera connue sous le nom de Dimanche rouge.

D’importantes grèves ont alors lieu en janvier et février. Puis elles reprennent en mai et juin à l’instigation du POSDR de Lénine.

En février, le grand-duc Serge, frère d’Alexandre III est assassiné par les Socialistes révolutionnaires.

Dans les campagnes, les paysans occupent les grands domaines. En juin est créée l’Union paysanne qui demande que la terre soit une propriété collective du peuple.

Les Unions de professions libérales se regroupent en créant l’Union des Unions sous la direction de Pavel Miloukov.

L’armée est désemparée suite aux défaites du Japon. Elle est mal nourrie et ma logée. C’est la cause de la mutinerie du Potemkine en juin 1905. Même si cette mutinerie n’est pas suivie, l’armée refusera d’intervenir contre les marins du Potemkine.

La réponse de l’État à ces manifestations est indécise. Nicolas II hésite entre la répression dure que lui propose le général Trepov et la libéralisation du régime que prône Serge Witte.

À l’automne, les grèves reprennent dans les usines, les universités et les campagnes. Trépov propose à Nicolas II d’écraser le mouvement par la force. Le 7 octobre, il fait arrêter les dirigeants de l’Union des cheminots et fait intervenir les cosaques pour ramener l’ordre. Cela déclenche la grève générale dans tout le pays.

Devant l’échec de Trépov, Nicolas II se tourne vers Witte qui vient de signer avantageusement aux États-Unis la paix avec le Japon. Witte est nommé Premier ministre et il fait signer à Nicolas II le Manifeste d’Octobre qui accorde un certain nombre de libertés immédiates et promet l’élection d’une assemblée élue au suffrage universel, la Douma.

Le Manifeste est très bien accueilli par la population. L’opposition se divise entre les partisans des élections à la Douma souhaitant un changement dans le calme et les opposants voulant la révolution, principalement le mouvement ouvrier et l’union paysanne pan-russe.

Le 27 novembre, Witte fait arrêter les dirigeants de l’Union paysanne et le 16 décembre les dirigeants du soviet ouvrier de Saint-Pétersbourg.

Le soviet de Moscou appelle alors à la révolution et les ouvriers manifestent dans la rue. Du 22 décembre 1905 au 1er janvier 1906, l’armée réprime durement les manifestants de Moscou, faisant plus d’un millier de morts.

La douma sera finalement réunie le 27 avril 1906. En désaccord avec le tsar, son fonctionnement est bloqué. Elle est dissoute en juillet 1906. Une deuxième douma subit le même sort. La troisième douma après modification de la loi électorale (coup de force du 3 juin 1907) sera enfin favorable au tsar et durera cinq ans. La quatrième douma durera jusqu’à la révolution de 1917.

Malgré son goût pour les évolutions pacifiques, Gaston Leroux arrive à la conclusion que la révolution est inévitable après l’ultimatum adressé en décembre 1905 au gouvernement par le conseil des députés ouvriers, le parti socialiste démocrate, le parti socialiste révolutionnaire et par l’Union israélite ouvrière. : « Qu’un tel ultimatum apparaisse formidable et sans possibilité de réalisation pratique immédiate, c’est tout naturel. Mais que le parti libéral modéré, par son attitude méfiante vis-à-vis du gouvernement, par son laisser-faire vis-à-vis des révolutionnaires, semble le soutenir, voilà ce qui dépasse la conception que nous avons, en France, de la logique des révolutions. Aussi, on ne s’étonne point, ici, de la stupéfaction qui nous vient de l’étranger. Pourtant, cette situation, d’un aspect si compliqué, est, au fond, des plus simples. Elle n’a jamais été plus logique. Si le parti modéré ne soutient pas le gouvernement contre le parti révolutionnaire, c’est qu’il n’a aucune confiance en lui, et c’est qu’il préfère l’anarchie de demain, d’où un État nouveau pourra sortir, à l’anarchie autocratique d’hier, dont il a fait la cruelle expérience.

« De l’avis de tous ceux que j’ai consultés, les plus sages et les plus exaltés, la bataille sera ardente, plus ardente qu’elle n’a été dans aucun pays du monde. C’est que la révolution russe est double : Le Tiers-État et le prolétariat arrivent ensemble pour réclamer leurs droits et pour faire valoir leurs revendications, qui sont souvent en désaccord. Le déchirement sera certain. Faut-il regretter, pour le peuple russe, qu’il soit ainsi amené à résoudre d’un seul coup le problème social tout entier ? Beaucoup ne le pensent point.

« Quoi qu’il en soit de la gravité des événements actuels, nous n’en sommes encore qu’aux escarmouches. Il ne faut pas se leurrer, nous touchons à des drames formidables... »

Le tsar Nicolas II

Nicolas II arrive au pouvoir à la mort de son père Alexandre III en novembre 1894 à l’âge de vingt-six ans sans goût ni préparation pour son rôle de tsar.

Nicolas II est très attaché, comme son père, au rôle autocratique du tsar conservant un pouvoir central absolu. Il est par conviction héréditaire opposé au parlementarisme.

Il se laisse facilement convaincre par le dernier qui a parlé, ne sachant pas dire non et accordant facilement sa confiance à chacun de ses conseillers.

Gaston Leroux décrit ainsi l’indécision du tsar : « Hélas ! ce jour-là, l’empereur fut sur le point d’aller à Pétersbourg, et rien ne serait arrivé, mais il n’y alla pas ; comme il fut sur le point d’aller à la guerre, mais il n’y alla pas ; comme il est toujours sur le point de faire tout ce qu’il ne fait jamais. Ne pas donner d’ordre, c’est une responsabilité plus grande que d’en donner, ne pas vouloir est plus décisif que vouloir, ne pas savoir, plus terrible que savoir. »

La guerre contre le Japon

En 1900, suite à la guerre des Boxers, la Russie occupe la Mandchourie. La Russie cherche alors à étendre son hégémonie sur la Corée créant une rivalité avec le Japon qui considère la Corée comme sa chasse gardée.

Le 8 février 1904, le Japon attaque par surprise la flotte russe à Port-Arthur et prend le port après huit mois de siège.

En mars 1905, le Japon attaque l’infanterie russe à Moukden en Mandchourie. L’armée russe subit d’importantes pertes, 60 000 morts et blessés et 30 000 prisonniers. Elle doit se replier vers le nord à Tieling à 175 kilomètres de Moukden.

En mai, la flotte russe, envoyée de la Baltique est anéantie dans le détroit de Tsushima.

Un traité de paix est signé à Portsmouth aux États-Unis en septembre 1905 accordant au Japon les droits acquis par la Russie sur la Mandchourie.

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